L’écriture amazigh — que l’on entend parfois appeler « amazigh » — n’est pas qu’un simple idiome régional. C’est une langue profondément ancrée dans l’histoire de l’Afrique du Nord, parlée encore aujourd’hui du Maroc jusqu’au Sahel. Si elle a principalement été transmise par la parole au fil des générations, elle n’a pourtant jamais été étrangère à l’écrit. Et depuis quelques décennies, l’enjeu de son écriture ne cesse de prendre de l’ampleur.
Ce texte se penche sur la manière dont l’amazigh s’écrit, ou plutôt, sur les voies qu’il explore entre deux mondes : celui de la transcription phonétique en alphabet latin, pratique et répandue, et celui du Tifinagh, écriture ancienne désormais portée par un nouvel élan culturel.

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Traces anciennes d’une écriture résistante
Des pierres sahariennes aux cahiers d’écoliers
Les plus vieilles formes d’écriture amazigh remontent à plus de 2 500 ans. Dans les confins du Sahara, des symboles gravés sur la roche témoignent de l’existence d’un alphabet utilisé bien avant notre ère. On parle alors de caractères libyques, ancêtres du Tifinagh moderne. Ces signes, on les retrouve chez les Numides, les Garamantes, et dans d’autres peuples qui ont laissé leur empreinte sur cette région aride.
Au fil des siècles, le Tifinagh n’a jamais complètement disparu. Il a survécu, notamment chez les Touaregs, parfois à la marge, parfois codé, utilisé pour ce qu’on n’écrivait pas ailleurs : des messages intimes, des marques symboliques, parfois juste de l’ornement. Ce n’était pas un outil scolaire, mais il était là, en silence.
Du symbole à l’outil : le rôle des institutions
Quand une écriture revient dans la lumière ?
Il faut attendre les années 2000 pour que le Tifinagh sorte du cadre traditionnel et deviennent un projet politique et éducatif. L’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM), créé au Maroc, joue ici un rôle décisif : standardiser, moderniser, diffuser. En 2003, une décision historique tombe — le Tifinagh devient l’alphabet officiel pour enseigner l’amazigh dans les écoles marocaines.
Cela ne signifie pas pour autant l’abandon de l’alphabet latin. Ce dernier continue de jouer un rôle clé, surtout dans les milieux universitaires, les publications scientifiques ou les outils numériques. Il est perçu comme plus accessible, plus maniable, notamment pour représenter les sons complexes du tamazight.
Deux systèmes, deux logiques… une même langue
Le tamazight s’écrit donc aujourd’hui de plusieurs manières. Certains y verront un désordre, d’autres y liront une richesse. Le Tifinagh est un marqueur identitaire puissant, une forme de résistance graphique, là où le latin sert souvent de pont vers la modernité, la technique, l’international. Il ne s’agit pas de trancher, mais de constater que cette dualité reflète bien la réalité de la langue : enracinée et mouvante.
Finalement, cette coexistence est peut-être moins un problème qu’un reflet fidèle du parcours de l’amazigh. Une langue qui n’a jamais cessé d’évoluer, de s’adapter, et surtout de résister — même dans ses lettres.
L’alphabet Tifinagh : d’un héritage ancien à un usage contemporain
Un système d’écriture forgé dans la pierre
L’alphabet Tifinagh, que les Amazighs — ou Berbères — utilisent depuis des siècles, plonge ses racines dans les écritures libyques antiques. Ces signes, aux formes épurées — cercles, traits, points — ornaient autrefois les roches, les objets rituels, voire les armes. Leur simplicité géométrique ne les rendait pas pour autant rudimentaires : ils répondaient à une logique graphique bien précise, intimement liée à la phonétique de la langue.
Avec le temps, plusieurs variantes de cette écriture ont émergé, chacune reflétant un contexte d’usage différent :
- Le Tifinagh traditionnel, encore en usage chez les Touaregs dans certaines zones sahariennes ;
- Le Tifinagh standardisé, développé au Maroc sous l’impulsion de l’IRCAM pour servir l’enseignement et les institutions ;
- Le néo-Tifinagh touareg, une version manuscrite plus fluide, adaptée aux usages quotidiens modernes.
Dans sa forme actuelle, l’alphabet tifinagh retenu à des fins pédagogiques comprend 33 lettres, chacune associée à un phonème bien distinct.
La phonétique amazighe : un univers sonore singulier

Entre sons gutturaux, emphatiques et régionalismes
La langue amazighe se distingue par une richesse phonétique peu commune dans les langues indo-européennes. Elle mobilise une palette sonore où coexistent consonnes explosives, sifflantes, pharyngales et sons dits emphatiques. Voici quelques familles de sons qu’on y rencontre :
- Les occlusives : /t/, /k/, /g/
- Les fricatives : /f/, /x/, /ɣ/
- Les pharyngales, présentes selon les dialectes : /ḥ/, /ʕ/
- Les emphatiques, typiques : /ṭ/, /ṣ/, /ẓ/
L’écriture en tifinagh s’efforce de refléter cette richesse à travers une relation claire entre son et graphème. Par exemple :
- Le son /ʃ/ peut être transcrit ⴱⵛ (bch)
- Le /ɣ/ se note ⵖ
- Le /ẓ/ s’écrit ⴷⵥ
Toutefois, cette correspondance n’est pas toujours aisée, surtout lorsqu’on tente de restituer les variations entre les grandes aires dialectales — tarifit, tamazight, tachelhit — chacune portant ses spécificités phonétiques.
Usages modernes du tifinagh : de l’école aux interfaces numériques
Une résurgence visible, mais encore partielle
Depuis son adoption officielle dans le système éducatif marocain en 2003, l’alphabet tifinagh connaît un regain d’intérêt tangible. Il est aujourd’hui :
- Enseigné dans les établissements primaires de nombreuses régions ;
- Affiché dans les lieux publics — gares, rues, administrations — aux côtés de l’Arabe et du français ;
- Intégré dans les claviers virtuels, les systèmes d’exploitation modernes (Windows, macOS, Android) ;
- Utilisé dans divers médias : journaux locaux, manuels scolaires, livres jeunesse, supports ludiques.
Cette évolution technique a été favorisée par son intégration dans la norme Unicode, étape indispensable à toute langue souhaitant exister sur le web et les logiciels.
Obstacles persistants et enjeux d’avenir
Entre légitimation politique et appropriation populaire
Malgré les progrès réalisés, plusieurs freins ralentissent encore la généralisation du tifinagh :
- Standardisation inachevée : des divergences d’usage persistent d’une région à l’autre ;
- Manque de formation : peu d’enseignants maîtrisent parfaitement la langue et son écriture dans toutes ses dimensions ;
- Faible présence numérique : malgré les efforts, le tifinagh reste marginal sur internet et dans les plateformes globales ;
- Réception contrastée : dans certains milieux, il est perçu comme un marqueur identitaire ou politique, plutôt que comme un outil linguistique neutre.
L’avenir du tifinagh ne dépendra pas seulement des réformes éducatives ou des initiatives culturelles. Il s’ancrera durablement dans la société si la langue amazighe, dans son ensemble, est portée par une volonté collective d’en faire un vecteur d’expression du quotidien — dans la rue, à l’école, sur les écrans, et au-delà.
Le tifinagh est-il utilisé par tous les Amazighs ?
Non. Le tifinagh est surtout utilisé au Maroc et par les Touaregs. En Algérie, en Libye ou dans la diaspora, d’autres systèmes comme l’alphabet latin ou arabe peuvent être préférés.
Combien de lettres compte l’alphabet tifinagh moderne ?
Il compte officiellement 33 lettres dans la version standardisée par l’IRCAM.
Le tifinagh est-il enseigné à l’école ?
Oui, au Maroc principalement, où il est introduit dans le système éducatif depuis 2003.
Peut-on écrire toutes les variantes du berbère en tifinagh ?
Oui, mais cela nécessite des ajustements, car certaines variantes ont des sons spécifiques.
L’écriture amazigh, à travers l’alphabet tifinagh, incarne bien plus qu’un simple système graphique : elle est le symbole vivant d’une culture millénaire en pleine revitalisation. Grâce à sa reconnaissance officielle, à son intégration dans les programmes éducatifs, et à sa présence croissante dans l’espace public et numérique, le tifinagh devient un outil de transmission intergénérationnelle.
Toutefois, pour assurer sa pérennité, des efforts continus sont nécessaires en matière de standardisation, de formation et de sensibilisation. La promotion de cette écriture unique s’inscrit dans une dynamique plus large de reconnaissance et de valorisation des patrimoines linguistiques autochtones.


