L’Hymne Kabyle « Ass n Tlelli » : Entre Chant de Liberté et Affirmation d’Être

L’Hymne Kabyle "Ass n Tlelli" : Entre Chant de Liberté et Affirmation d’Être

Il arrive que certaines mélodies racontent bien plus qu’un simple récit. Elles prennent racine dans la mémoire d’un peuple, traversent les générations et finissent par se confondre avec l’identité même de ceux qui les chantent.

C’est exactement ce qu’incarne Ass n Tlelli, « Le Jour de la Liberté », un hymne kabyle qui, loin d’être institutionnel, s’impose comme cri d’appartenance, de douleur, mais aussi d’espoir.


Aux origines d’un chant sans drapeau

Une œuvre née d’un besoin vital : dire qu’on existe

Dans les années de tensions identitaires et de répression culturelle, un chant s’est levé. Il n’a pas été commandé par un État, encore moins approuvé par une constitution. Et pourtant, Ass n Tlelli résonne, encore et toujours. Son auteur, Ferhat Mehenni, militant de la cause amazighe, a su traduire dans ce texte l’urgence de ne pas s’effacer. Lui qui a fondé le Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie (MAK) puis le Gouvernement Provisoire Kabyle (GPK), a fait de la poésie un levier politique.

La mélodie ? Solennelle, presque militaire. Le ton ? Grave, affirmatif. Et à chaque rassemblement, ce chant devient l’unisson d’un peuple qui, malgré l’oubli des puissants, se refuse au silence.

Lire entre les lignes : une poésie dense et viscérale

Le kabyle, langue d’images et d’insoumission

Dans sa version originale, le texte kabyle de Ass n Tlelli joue sur la force des symboles. Le feu, la terre, la lumière, la justice — autant d’éléments qui reviennent comme pour sceller une identité insoumise. Le style est direct, parfois abrupt. Les vers sont courts, percutants, comme s’il s’agissait de ne laisser aucune place au doute :

« Nous sommes feu et fer »,
« Nous sommes bonté et amour »,
« Nous sommes marteau et houe »,
« Aujourd’hui, nous triomphons. »

Ce n’est pas simplement un éloge. C’est un acte de présence. Une manière de dire « nous sommes là », dans un monde où l’on a souvent préféré ne pas entendre.

En traduction : garder la flamme vive

Traduire, c’est parfois trahir — mais l’âme demeure

Même traduite en français, la charge émotionnelle du texte reste palpable. La traduction la plus reprise conserve, avec un certain équilibre, l’esprit du texte sans l’aseptiser. Elle donne à entendre une parole pleine, fière, mais jamais arrogante :

Le jour de Liberté
C’est aujourd’hui le Jour de Liberté,
Le Jour de la Nation Kabyle,
Qui se distingue parmi les Nations.

Tout le monde observe
Le podium auquel nous sommes hissés,
Nul n’est au‑dessus.

Si parfois, nous trébuchons,
Jamais nous renonçons,
Nous triomphons toujours.

Du soleil, nous émergeons,
Aujourd’hui et demain nous demeurons,
Debout, prompts à nous lever.

Nous sommes peuple de liberté,
Nous sommes lumière de vue,
Nous sommes de feu et de fer.

(…)
[Texte complet volontairement abrégé ici pour fluidité]

Loin d’un exercice littéraire, ces vers sont un manifeste. Une réponse aux silences imposés. Et dans chaque mot, il y a une main tendue vers ceux qui ont oublié ce que « lutter pour exister » veut dire.


Écho d’un Peuple : Résonance et Réception de Ass n Tlelli

Quand un chant traverse les frontières et les générations ?

Il y a des chansons qui collent à la peau d’un peuple, qui se transmettent presque instinctivement, comme un souffle ancien qu’on reconnaît sans même l’avoir appris. Ass n Tlelli en fait partie. Il ne s’agit pas simplement d’un chant identitaire — c’est devenu, au fil des ans, une manière douce et ferme de dire non. Non à l’oubli. Non à la dilution. Oui, à la mémoire vivante.

Ce chant s’élève régulièrement lors des manifestations pacifiques du Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK), dans les rues européennes, à Montréal, à Paris, ou dans des salles où résonne encore l’écho des langues amazighes. Il accompagne aussi les fêtes, les veillées culturelles, les rassemblements intergénérationnels où l’on ne vient pas juste écouter, mais sentir qu’on appartient.

Un lien invisible, tissé entre ceux d’ici et d’ailleurs

Dans les moments collectifs, Ass n Tlelli devient presque un ciment. Il n’exige rien, mais rassemble. Il parle aux anciens comme aux jeunes, aux artistes, aux militants, aux familles dispersées. Ce n’est pas un slogan — c’est un rappel. Celui d’une dignité que l’on tente de sauvegarder dans un monde parfois peu attentif.

Et puis, il y a Internet. Le chant y circule comme un ruisseau qui aurait trouvé de nouveaux chemins. Sur TikTok, YouTube ou Facebook, on découvre des versions remixées, parfois électro, parfois acoustiques. Des jeunes y mettent leur voix, des chœurs d’enfants s’y essayent. Certains l’accompagnent du drapeau kabyle, flottant fièrement derrière eux, même filmés d’un salon parisien ou d’un balcon à Tizi-Ouzou.

Ce qui frappe, c’est cette absence totale de reconnaissance officielle… et cette présence pourtant si évidente. Pour beaucoup, Ass n Tlelli est l’hymne d’un peuple sans État, mais pas sans histoire. Il canalise une volonté farouche : celle d’exister pleinement, et non en pointillé.


Ass n Tlelli n’est pas qu’un hymne. C’est un souffle. Une déclaration d’amour lancée à une terre parfois meurtrie, à une langue souvent marginalisée, à une identité qu’on n’a pas pu étouffer.

Il nous rappelle une vérité simple : on peut résister autrement. Avec des mots, avec des notes, avec des chants portés de génération en génération. Ce n’est pas moins puissant que les armes — parfois, c’est plus durable.

La version française, si elle perd peut-être quelques nuances sonores, reste un pont. Elle permet à d’autres de comprendre ce que signifie vivre en tension entre appartenance et invisibilité. Et dans un monde qui redécouvre la richesse des voix minoritaires, Ass n Tlelli n’est plus une chanson isolée — c’est une mémoire collective en mouvement.

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