ALPHABET AMAZIGH : TIFINAGH

TIFINAGH
YENNAYER 2965

Les différents systèmes d’écriture amazighe : Tifinagh

L’alphabet amazighe a subi des modifications et des variations inévitables depuis son origine jusqu’à nos jours. Du libyque jusqu’au néo-tifinagh en passant par le tifinagh saharien et les tifinagh touarègues, nous retraçons ci-dessous les aspects les plus importants de chacune de ces étapes.
Le Libyque

Il y a deux formes du libyque, l'oriental et l'occidental ;
La forme occidentale a été utilisée le long de la côte méditérrannéenne de la Kabylie jusqu'au Maroc et aux Îles Canaries. La forme orientale a été utilisée dans le Constantinois, en Aurès et en Tunisie ;
Seule la forme orientale a été déchiffrée grâce notamment à l'existence d'importantes inscriptions bilingues punico-libyques. Ce déchiffrement a permis de déterminer la valeur de 22 signes sur 24 ;
Selon Février (1964-65), la forme occidentale serait plus primitive, la forme orientale étant influencée par l'écriture punique ;
L'alphabet libyque est strictement consonantique
La gémination n'était pas notée ;
La forme occidentale comporte 13 lettres supplémentaires ;
Les inscriptions sont souvent des dédicaces ou epitaphes. La plupart sont brèves ;
Le sens de l'écriture n'est pas fixé (mais c'est plus souvent verticalement de bas en haut). Chaque ligne constitue un mot phonétique ou un sens complet ;
Une minorité de lettres permettaient de déterminer le début de la ligne. Ces lettres sont appelées lettres directrices ou signes directeurs ;
Une hypothèse a été avancée que certaines lettres seraient secondaires par rapport à d'autres.

tifinagh arabe
Le tifinagh saharien

Il est aussi appelé libyco-berbère ou touarègue ancien ;
Il contient des signes supplémentaires ;
Un trait vertical pour noter la voyelle finale /a/ ;
Il est utilisé pour transcrire le tourègue ancien mais ces inscriptions sont incomprises ;
L'âge des inscriptions les plus récentes est peut-être de quelques 200 ans ;
Les modalités du passage entre le libyque et le tifinagh saharien sont inconnues. Le tifinagh saharien était-il contemporain des formes libyques ? Doit-on le comaper au libyque accidental ou oriental ? A quelle période correspond l'utilisation de cet alphabet, avant l'arrivée des Arabes, juste après ou longtemps après ? Ces questions demeurent sans réponse pour l'instant.
La valeur des signes du tifinagh saharien nous est transmise par P. de Foucauld.

Pour en savoir plus sur le tifinagh saharien, voir Théodore Monod – 1932. L’Adrar Ahnet pp. 135-139. et Maurice

Reygasse – 1932. Contribution à l’étude des gravures rupestres et inscriptions tifinagh du Sahara central, Cinquantenaire Faculté Lettres Alger pp. 437-534 (cités dans Prasse 72)
tableau 1 : cliquer sur le tableau pour agrandir
Le tifinagh touarègue

Il existe au sein du tifinagh touarègue quelques divergences des valeurs des signes qui correspondent aux variations dialectales touarègues. Si d'une région à une autre, la forme et le nombre des signes peuvent changer, les textes restent en général mutuellement intelligibles car la plupart des différences graphiques suivent la logique des variations phonétiques dialectales.
L'innovation la plus frappante est la ligature à dernière consonnes /t/ ou à première consonne /n/ ;
Comme pour le saharien, le tifinagh touarègue dispose d'un signe /./ pour noter les voyelles finales appelées Tighratin (masc. Tighrit). Pour le Hoggar, le Ghat et Adrar, ce signe ne s'emlpoie que pour la voyelle /a/. Les voyelles /i/ et /u/ sont notées par les signes corresponadant aux /y/ et /w/. Les autres dialectes l'emploient pour toutes les voyelles finales et, selon P. de Foucauld, pour toutes les voyelles initiales sans destinction
Parmi les tribus maraboutiques de la région de Tombouctou, on a relevé l'emploi des diacritiques arabes pour noter les voyelles brèves ;
Usage : A part quelques rares utilisations pour la notation de textes longs, les tifinagh touarègues ont souvent été utilisés pour des inscriptions sur des objets (bijoux, armes, tapis, etc.), pour des déclarations amoureuses et pour des épitaphes. Toute transcription commence par la formule awa näk (c'est moi) + nom + innân (qui a dit).
Il semblerait qu'un homme sur trois et une femme sur deux l'écrivent sans hésitation. Depuis peu, les tifinagh sont utilisés comme support pédagogique pour la compagne contre l'analphabétisme.        
Les lettres sont épelées de différentes façons suivant les régions :
Dans le Ghat : /b/ : yab ; /d/ : yad ; etc.
Dans l'Ayer et chez les Iwelmaden : /b/ : ab ; /d/ : ad ; etc.
Dans le Sud : /b/ : abba ; /d/ : adda ; etc.
Il n'y a pas d'ordre pour énoncer les lettres de l'alphabet. Mais une formule mnémotechnique, citée par Foucauld (1920), contient toutes les lettres ou presque : awa näk, Fadîmata ult ughnis, aghebbir nnit ur itweddis, taggalt nnit märaw iyesân d sedîs : " C'est moi, Fadimata, fille d'Oughnis : sa hanche ne se touche pas, sa dot est de seize chevaux "   

Tifinagh  francais
Les Néo-tifinagh

Les néo-tifinagh désignent surtout le système d’écriture développé par l’Académie berbère (AB) sur la base des tifinagh touarègues à la fin des années 60 et largement diffusé au Maroc et en Algérie et surtout en Kabylie. Mais cette terminologie englobe aussi quelques autres systèmes d’écriture venus développer ou pour certains corriger les quelques imperfections du système de l’Académie Berbère. C’est le cas surtout de la proposition faite par S. Chaker (v. Tafsut. 1990 n° 14.) Les autres systèmes sont à quelques différences près identiques au système de l’AB (rapportez-vous au tableau 2. pour constater ces variations)

Dans ce qui suit nous proposons une étude détaillée de ces différents alphabets, l’objectif est de mettre à votre disposition une vue globale de ces systèmes (grâce notamment à un tableau les récapitulant) et de souligner les possibilités de dégager un système standard utilisable pour tous les parlers amazighs.

La renaissance de l’alphabet amazigh en Afrique du Nord est incontestablement due au travail énorme accompli par l’AB (Agraw Imazighen). Cette association formée par des jeunes militants amazighs (kabyles en grande partie) installés à Paris a largement diffusé l’alphabet tifinagh en Algérie et au Maroc. Depuis, l’engouement de la jeune génération pour cet héritage très valorisant n’a jamais cessé. Le point fort de l’initiative de l’AB est donc d’avoir fait renaître cet alphabet sur les terres qui l’ont vu naître il y a plus de 2500 ans [4] et de l’avoir largement diffusé ce qui a créé une sorte de standardisation ; le même système a été utilisé pour transcrire aussi bien le chleuh, le kabyle que le rifain. Mais ces avantages indélébiles ne doivent pas masquer les quelques imperfections que contient cette nouvelle version. En effet, comme l’a bien résumé S. Chaker (1994 – 33) : “…, il a manqué aux néo-tifinagh tout le travail de réflexion phonologique” En plus d’un manque d’une réelle base phonologique au travail de l’AB, un autre point mérite d’être souligné. L’AB, confronté aux variations au sein des tifinagh touarègues, au manque de deux voyelles et à la dominance des pointillés, a inventé certains signes qui n’ont aucune base historique (L’élaboration de ces signes est souvent faite en reliant les pointillés) L’AB a ainsi inventé les signes correspondant aux consonnes suivantes /dj/, /tc/, /k/, /R/, /q/, /x/, /w/, etc. Elle a abandonné les ligatures et a commencé à marquer la tension.

L’aspect principal qui doit être respecté quant à l’adoption d’un système d’écriture est de refléter d’une manière simple le système phonologique d’une langue donnée. Par système phonologique, nous entendons l’ensemble des consonnes et voyelles d’une langue qui ont un statut pertinent pour distinguer entre deux formes. Autrement dit, un système d’écriture pour le français par exemple doit différencier entre les deux consonnes /p/ et /b/ puisque la substitution d’une des ces consonnes par l’autre changerait totalement le sens d’un mot : par ≠ bar. Par contre, cette même langue n’a pas besoin de deux signes pour distinguer entre le /r/ de “Très” qui est une uvulaire sourde et le /r/ de “grave” qui est sonore. L’alphabet n’est pas tenu de refléter cette différence et de surcharger l’inventaire alphabétique de la langue puisque cette différence est conditionnée par le contexte. Il ne s’agit donc pas de deux phonèmes mais plutôt de deux allophones d’un même phonème /R/. Ces réflexions d’ordre phonologique, entre autres, n’ont malheureusement pas été prises en considération par l’AB ce qui a créé un système alphabétique surchargé. Ainsi a-t-il noté les spirantes /t/, /d/, /k/ et /g/ et les affriquées /tch/ et /dj/ qui, pour un système phonologique commun à tous les parlers amazighs, n’ont pas lieu d’être. La spirantisation et l’affrication de certaines consonnes sont des variations régionales (rifain et kabyle, par exemple) souvent conditionnées par le contexte et qui n’ont qu’une pertinence très faible même au sein de ces parlers. Le système alphabétique amazigh peut donc s’en passer sans risque d’incompréhension.
tifinagh ircam
Comme nous l’avons précisé plus haut, la tradition alphabétique amazighe ne notait pas les voyelles. Elle notait secondairement la voyelle /a/ en fin d’énoncé. Les signes adoptés par les nouveaux systèmes notaient normalement les semi-voyelles /y/ et /w/. D’autres signes ont été inventés pour désigner ces mêmes semi-voyelles. Cette confusion reflète paradoxalement le caractère spécifique des vocoïdes berbères. En berbère, comme c’est le cas en chleuh, mis à part la voyelle /a/, les vocoïdes /I/ et /U/ sont réalisés comme des voyelles /i/ et /u/ s’ils sont syllabiques et comme des semi-voyelles /y/ et /w/ s’ils n’occupent pas le noyau de la syllabe. Ainsi, le vocoïde /I/ est réalisé dans la forme suivante :

                    /Ig°na/              >          [ig°na]                         Il a cousu

comme une voyelle /i/. Mais il se réalise comme une semi-voyelle /y/ dans la même forme précédée d’une voyelle :

                    /ma Ig°na/        >          [ma yg°na]                   Qu'est-ce qu'il a cousu ?

Mais doit-on pour autant ignorer ces deux différentes réalisations contextuelles dans le système graphique amazigh ? Allons-nous simplifier l’alphabet amazigh si nous optons pour les deux mêmes signes pour noter aussi bien les voyelles que les semi-voyelles correspondantes ? À l’évidence, la réponse est négative. D’autres considérations peuvent et doivent être prises en considération. Imaginons la forme suivante avec quatre vocoïdes adjacents ” IIUId ” (Il a ramené) où le premier et le troisième vocoïde se réalisent comme des semi-voyelles /y/ et /w/ respectivement et le deuxième et le quatrième comme la voyelle /i/. Il serait plus facile pour le lecteur de réaliser la bonne prononciation si nous notons les semi-voyelles avec des signes différents de ceux des voyelles et ainsi avoir la réalisation attestée : “yiwid”. Cela rendrait le découpage moins laborieux. S. Chaker (1994 – 34) propose pour noter les voyelles et les semi-voyelles de jouer sur les variantes graphiques libyque/tifinagh. Cette solution nous semble parfaitement adéquate, elle a l’avantage de refléter une certaine ambiguïté inhérente aux vocoïdes berbères et de nous empêcher d’inventer des signes qui n’ont aucune assise historique.
tableau 2 : cliquer sur le tableau pour agrandir

Le schwa /e/ est une autre voyelle avec un statut très particulier. Est-ce que le schwa existe en berbère ? Pour répondre à cette question, il faudra au préalable définir ce que nous entendons par berbère. S’il s’agit de l’ensemble des parlers amazighs, la réponse dépendra alors du parler en question. Le schwa existe en kabyle et en rifain mais pas en chleuh [5]. Si par berbère, nous entendons l’inventaire phonologique commun à tous les parlers, la réponse est à l’évidence non. Aussi, si notre objectif est de dégager un système pan berbère, nous pouvons nous débarrasser de ce “lubrifiant phonétique” sans risque majeure. Le verbe “débarrasser” est employé à dessein. En effet, l’adoption du schwa poserait beaucoup plus de problèmes qu’elle apportera de solutions. D’abord, aucune tradition pré-néo-tifinagh n’a noté cette voyelle. Deuxièmement, le signe choisi part l’AB /÷/ désignait en libyque oriental et occidental les consonnes /R/ et /q/ (v. Tableau1.). S’ajoute à cela un autre handicap majeur. Le schwa, même au sein des parlers où il existe, n’a aucun statut phonologique et sa présence est très instable.

Il y a bien évidemment d’autres aspects concernant la notation à base de tifinagh : l’emphase, l’assimilation, la labiovélarisation, l’état d’annexion. Mais ces aspects ne concernent pas uniquement le tifinagh. Ils doivent être traités quelle que soit la nature des caractères adoptés : arabes, latins ou amazighs. Nous reviendrons sur quelques uns de ces processus plus bas.

Nos remarques sur la notation en néo-tifinagh font suite à d’autres propositions établies par des linguistes et des chercheurs et doivent servir comme base de réflexion pour dégager un alphabet standard qui devra être utilisé pour écrire dans tous les parlers amazighs. Nous avons déjà soumis une grande partie de ces réflexions au “Comité provisoire pour la standardisation de l’alphabet amazigh”, dont nous faisions partie. Malheureusement cette organisation n’a pas pu continuer ses travaux. Les objectifs qu’elle avait affichés restent donc toujours à l’ordre du jour.
Déchiffrement de l’alphabet tifinagh sommaire comment lire et écrire en tifinagh

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